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Les coûts de l'énergie nucléaire

Alors que le nucléaire est souvent présenté comme trop cher par ses détracteurs, la récente envolée des prix du gaz démontre à quel point l’énergie nucléaire permet de se protéger de la volatilité du marché tout en assurant l’indépendance énergétique du pays. La France dispose actuellement d’un important parc nucléaire construit majoritairement dans les années 70-80 lui assurant des prix faibles et stables toute l’année. Le parc nucléaire actuel n’étant pas éternel, celui-ci devra impérativement être renouvelé. Dans ce contexte, beaucoup critiquent les coûts importants du nouveau nucléaire, symbolisé par les importants délais et surcoûts de l’EPR de Flamanville.

Pourtant, sous réserve que soit mis en place au niveau étatique un programme d’investissement ambitieux sur la filière nucléaire, tout permet de penser que le coût de cette énergie restera maîtrisé à un niveau proche du niveau actuel tandis que le coût des énergies concurrentes ne pourra que rester fortement élevé à cause de leurs faiblesses respectives intrinsèques : instabilité des coûts des matières premières et augmentation de la taxe carbone pour les énergies fossiles, coût de stockage pour les énergies renouvelables intermittentes.

Les coûts du nucléaire historique

La France possède l’une des électricité les moins chères d’Europe et la moins chère parmi ses voisins d’Europe de l’Ouest, en très grande partie grâce au parc nucléaire historique. Pourtant, nombreux sont ceux qui pointent du doigt des coûts de construction faramineux en centaine de milliards d’euros (170 Md€ selon la Cour des comptes), auxquels devront s’ajouter les coûts de démantèlement des centrales ainsi que la gestion des déchets. Tout ceci est vrai, mais utiliser des chiffres en valeur absolue lorsqu’on parle du système électrique d’un pays n’a tout simplement aucun sens (à titre de comparaison, l’Allemagne a investi 500 Md€ dans les énergies renouvelables pour les résultats financiers et climatiques que l’on connaît). Seul le coût ramené au MWh importe ici, car c’est de cela qu’il s’agit. Ces centaines de milliards d’euros d’investissement ont permis à la France de bénéficier d’une électricité bas-carbone, pilotable et bon marché depuis plus de 40 ans, tout en étant l’un des plus gros exportateurs au monde d’électricité.

Pour bien comprendre les coûts de production d’un MWh nucléaire, il est important de comprendre comment ceux-ci sont répartis. Entrent dans le calcul les coûts de construction des centrales, les coûts d’approvisionnement et d’enrichissement en uranium mais également les coûts de maintenance et d’exploitation des réacteurs. Dans un rapport, la Cour des comptes a évalué la répartition de ces coûts de la façon suivante pour le parc nucléaire historique :

Le coût de production du nucléaire historique est aujourd’hui évalué à 53€/MWh par EDF et 48€/MWh par la CRE1. Ces évaluations prennent en compte le coût de construction du parc actuel mais également les travaux de maintenance (dont le grand carénage sur la période 2014-2025 évalué à 45 Md€ qui permettra de prolonger les centrales actuelles), d’enfouissement via le projet CIGEO (25 Md€) et de démantèlement (20 Md€). Il est important de noter que l’estimation des coûts de démantèlement provient de coûts observés ailleurs dans le monde. Le parc nucléaire français étant très standardisé, il est probable que les coûts de démantèlement soient inférieurs, par effet de série.

Ces coûts de production autour de 50€/MWh rendent le nucléaire historique particulièrement compétitif face aux centrales fossiles dont les prix ne font que s’envoler ces dernières semaines, dépassant régulièrement les 200 € / MWh !
Car les centrales à gaz et à charbon sont extrêmement sensibles au cours du combustible, contrairement au nucléaire, dont le prix du MWh ne dépend que de 5 à 7% du prix de l’uranium2. C'est cette faible sensibilité aux coûts des matières premières qui permet au nucléaire d’assurer des prix stables dans la durée.
 

Les prix de l’électricité sur le marché de gros sont portés par la hausse des prix du gaz en Europe le 7 octobre 2021
 

Evolution des prix du gaz en Angleterre jusqu'à leur envolée en 2021

Même en supposant que les prix du gaz et du charbon reviennent à des niveaux d’avant crise, le coût du MWh d’électricité produit à partir des énergies fossiles est structurellement voué à augmenter. Afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050, un système de droits à polluer et à émettre du CO2 a été mis en place sur les marchés européens, où la tonne de CO2 y dépasse en ce moment même les 60€. Ceci signifie que pour avoir le droit d’émettre une tonne de CO2, un producteur d’électricité doit dépenser 60€. Le charbon émettant plus de 1 tonne CO2 / MWh, 1 MWh produit à base de charbon verra automatiquement son prix augmenter de 60€. Le gaz en émettant environ 1/2 tonne, il est donc nécessaire d’ajouter 30€ / MWh aux prix déjà particulièrement élevés du gaz ! Si une centrale à gaz produit à 200€ / MWh, son coût de production passera donc à 230€ / MWh. La valeur de la tonne de CO2 étant structurellement vouée à augmenter dans les années à venir, les centrales fossiles ne seront plus jamais compétitives face au nucléaire. Celles-ci exposeront les états à la volatilité des prix du gaz et du charbon ainsi qu’à des problèmes de souveraineté et de géopolitique majeurs.

 

Evolution des droits à polluer en euros sur le marché européen lors des cinq dernières années (Source : https://tradingeconomics.com/commodity/carbon)

Le nucléaire plus cher que les énergies renouvelables ?

Les énergies renouvelables comme l’éolien et le solaire émettent nettement moins de CO2 que les centrales fossiles, et ne subiront donc pas la forte hausse des droits à polluer. En plus de cela, les énergies renouvelables intermittentes ont vu leur coûts fortement diminuer ces dernières années. En effet, le coût du MWh éolien et solaire est estimé entre 45 et 70€ en France, rendant a priori les renouvelables plus intéressantes que le nouveau nucléaire. Cependant, ces technologies n’étant pas pilotables (c'est-à-dire disponibles à la demande et ne dépendant pas des conditions météo), comparer leur prix à celui du nucléaire n’a aucun sens.

En effet, lorsque celles-ci ne sont pas disponibles, nous sommes obligés d’activer des centrales pilotables en backup, souvent à gaz ou à charbon (qui seront de plus en plus cher comme nous l’avons vu plus haut) dans les pays se passant ouvertement de nucléaire. Les pays avec une forte pénétration de renouvelables comme l’Allemagne ont une électricité particulièrement chère puisqu’elles s’exposent aux prix des centrales fossiles de backup. Par ailleurs, les centrales de backup ne fonctionnant qu’une faible partie du temps pour laisser la place aux énergies renouvelables, la rentabilité de ces centrales diminue, obligeant les états à les financer fortement pour les garder ouvertes. Ces centrales sont en effet primordiales pour assurer la stabilité du réseau et faire face aux pics de demande lorsque la production renouvelable n’est pas suffisante. C’est pour cette raison que l’Allemagne conserve 90 GW de centrales pilotables malgré 120 GW d’énergies renouvelables installées (soit deux fois la puissance du parc nucléaire français de 60 GW).

Pour mieux comprendre l’importance de la pilotabilité d’un moyen de production, nous pouvons faire l’analogie suivante. Supposons deux restaurants, l’un proposant un curry à 10€ disponible en permanence, et l’autre un curry à 8€ disponible de façon aléatoire. Si un samedi soir à 20h le deuxième restaurant ne vous propose qu’un sandwich à 20€ car son curry n’est pas prêt, vous vous tournez naturellement vers le premier. Si à l’inverse ce restaurant vous appelle un dimanche à 3h du matin pour vous proposer son curry enfin disponible, vous n’en voudrez pas même pour 0€ ! C’est pour cette raison que des prix négatifs ont été observés sur les marchés lors de périodes de faible demande où la production renouvelable étant alors bien trop importante, obligeant les producteurs à payer pour se débarrasser de leur électricité3 ! Voilà pourquoi il est impossible de comparer des moyens de production pilotables et intermittents. Pouvoir répondre aux demandes de forte consommation d’électricité en activant des moyens pilotables à des prix raisonnables est un enjeu majeur !

Pour pallier partiellement l'intermittence des renouvelables, il est possible de reposer sur des moyens de stockage (même si ceux-ci ne seront jamais suffisants pour faire face à des périodes anticycloniques prolongées, cf article précédent) mais dont les prix sont aujourd’hui tout sauf compétitifs (environ 150€/MWh pour le stockage par batterie, qui viendront s’ajouter aux coûts de production de l’électricité stockée). C’est également sans compter sur les coûts d’adaptation du réseau en cas de forte pénétration de renouvelables, qui sera estimée à plus de 110 Md€ en Allemagne4 (on rappelle que le parc nucléaire français de 58 réacteurs en avait coûté 170). Produire de l’électricité bas-carbone et pilotable en se passant de nucléaire est extrêmement difficile (voire impossible) et coûtera donc très cher.

Les coûts du nouveau nucléaire

Nous avons vu que le prix du MWh nucléaire dépend de plusieurs choses dont les coûts du cycle du combustible, les coûts d’exploitation et de maintenance - qui ne devraient pas sensiblement changer à l’avenir - mais également des coûts de construction et d’investissement. La France étant appelée à renouveler son parc nucléaire d’ici à 2050, la capacité à optimiser les coûts de construction et d’investissement à l’avenir aura un impact direct sur les coûts de production des futurs réacteurs nucléaires français.

En Europe et particulièrement en France, le nouveau nucléaire est symbolisé par l’EPR de Flamanville dont le chantier démarré en 2007 a connu d’importants délais et surcoûts. Il y a beaucoup à redire sur les raisons de cette défaillance, mais citons en certaines : perte de compétences de l’industrie nucléaire après 20 ans sans construction (qui implique de former de nouveaux ingénieurs et sous-traitants à la qualité nucléaire), mise à jour des normes de sûreté post-Fukushima venant s’ajouter au fait que l’EPR était un prototype. Néanmoins, EDF a appris de ses erreurs puisque la livraison de l’EPR de Hinkley Point en Angleterre est prévue dans les temps, même si cet EPR a été fortement critiqué outre-Manche pour son prix de rachat élevé (105€/MWh). Ces critiques ont été faites lorsque les prix de marché étaient bas, et ces 105 €/MWh semblent aujourd’hui bien dérisoires face à l’envolée du gaz ou aux coûts exorbitants des moyens de stockage.

EPR de Flamanville

Les délais de construction et les coûts de production devront cependant être optimisés à l’avenir. Une grande partie des problèmes de l’EPR relevés plus haut peut être résolue en construisant des réacteurs en série. L’effet de série permet une montée en compétence de toute la filière (ingénieurs, ouvriers, sous-traitants, investissements dans la R&D...), la création d’une véritable chaîne de valeur industrielle ainsi que des gains de productivité (par effet d’apprentissage) impliquant une baisse automatique des coûts et des délais de construction. C’est pour cela que la Chine qui construit actuellement 52 réacteurs sur son sol a été en mesure de déployer avant nous ses deux EPR. C’est également pour cette raison que les coûts du nucléaire sont plus de deux fois inférieurs dans les pays ayant maintenu une filière de construction nucléaire active5. La mise en service d’EPR à des coûts optimisés dans les années à venir nécessitera donc la mise en place d’un programme industriel ambitieux, seul moyen d’envoyer des signaux positifs à l’ensemble des acteurs de la chaîne de production nucléaire, afin que ceux-ci réalisent les investissements et recrutements nécessaires.

Coûts de construction nouveau du nucléaire Europe/Amérique du Nord vs reste du Monde (source ETI)

Le coût de production d’une installation provient non seulement de son coût de construction et de maintenance, mais aussi du coût de l’investissement. Influer sur le coût de construction n’est donc pas la seule façon de faire baisser le coût du kWh nucléaire. Il est nécessaire de maintenir des taux d’intérêts faibles pour garantir des coûts de production compétitifs. Le chantier de l’EPR de Hinkley Point a mis en exergue un problème propre au nucléaire. Cette technologie étant vue comme un investissement à risque pour les acteurs privés (rendement sur le très long terme, possibles fermetures anticipées de centrales en cas de décision politique…) ces derniers demandent des taux d’intérêt particulièrement élevés afin de maximiser leur retour sur investissement, ce qui fait automatiquement grimper le coût du MWh. Un rapport de la Cour des comptes anglaise (NAO) a révélé que le prix du MWh de l’EPR d’Hinkley Point double en passant le taux d’actualisation de 3 à 10%6.

Si l’Etat peut se porter garant et ainsi assurer des taux d’intérêt plus faibles, il est également possible de baisser les taux d’intérêt demandés par les acteurs privés en maximisant leur rentabilité, ce qui peut être fait en valorisant les énergies bas-carbone. Comme nous l’avons vu plus haut, plus la tonne de CO2 sera élevée sur les marchés et plus le nucléaire sera compétitif à côté des énergies fossiles.

Le coût de production du nouveau nucléaire repose donc sur deux facteurs : le coût de construction, qui peut être optimisé via la mise en place d’un véritable programme industriel impliquant des effets de série et d’apprentissage, et le coût d’investissement, qui peut être optimisé en garantissant des taux d'intérêts plus faibles et en valorisant plus largement les moyens de production décarbonés. La SFEN (Société Française d’Energie Nucléaire) estime que les bonnes mesures permettraient de réduire de 30% les coûts de construction et de 50% ceux liés à l’investissement7. Pour les mêmes raisons, EDF estime qu’en partageant les risques et une partie de l'investissement avec l’Etat, le coût de production des futurs EPR pourrait être inférieur à 60€ / MWh, voire 45€/MWh8, soit sensiblement proche de celui du parc actuel.

Contrairement à ce que beaucoup de gens avancent, le nucléaire historique est particulièrement compétitif, même en prenant en compte la rénovation du parc. Le prix des énergies fossiles est quant à lui structurellement voué à croître via la hausse des droits à polluer alors que les moyens à mettre en place pour pallier l’intermittence des énergies renouvelables feront sensiblement augmenter leur prix. Enfin, nous venons de voir que si l’Etat annonçait la commande de plusieurs EPR en prenant à sa charge une partie du risque associé à leur construction, EDF serait en mesure de construire des EPR dont le prix du MWh serait proche de celui du parc nucléaire existant. En prenant les bonnes décisions politiques dès maintenant, la France pourra continuer à profiter d’une électricité décarbonée, pilotable et bon marché grâce au nucléaire.
 

Sources :

1. Coût de production du nucléaire historique
2. Influence du prix de l'uranium sur le prix final du nucléaire
3. Prix négatifs de l'électricité
4. Coûts adaptation du réseau électrique allemand
5. Rapport ETI sur les levier d'optimisation des coûts du nouveau nucléaire
6. Rapport NAO sur les coûts de l'EPR de Hinkley Point
7. Rapport SFEN sur les coûts du nouveau nucléaire
8. Estimation de coût des futurs EPR par EDF


Ecrit par Victor Rambaud
Co-fondateur & COO

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