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Q&A Nucléaire

Cet article s’inspire de celui écrit par l'organisation The Finish Greens for Science and Technology qui milite au sein du parti vert finlandais pour une réponse écologique fondée sur le savoir scientifique. Le parti Vert finlandais a par ailleurs adopté une nouvelle plateforme s’écartant résolument des anciens dogmes et intégrant le recours à l’énergie nucléaire comme solution pour combattre le changement climatique. Cet article apporte une série de réponses aux questions les plus fréquentes posées à propos de l'énergie nucléaire. Vous trouverez l’article original ici.

1. Peut-on atteindre nos objectifs climatiques en se passant de l'énergie nucléaire ?

Beaucoup de scénarios ont été fait ces dernières années afin d'évaluer un mix énergétique mondial idéal permettant la neutralité carbone en 2050. Cette littérature scientifique a été compilée et analysée par des experts du GIEC (Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat). De cette analyse sont ressortis quatre scénarios principaux (P1-P4), ayant tous en commun une hausse de la production nucléaire mondiale entre aujourd’hui et 2050, production étant multipliée d'un facteur 2 à 6 en fonction des scénarios1. Le rapport final est donc sans ambiguïté sur l'impossibilité de se passer de l'énergie nucléaire pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

2. Le nucléaire est-il viable sur le long terme ?

Alors que de plus en plus de chefs d'Etats affichent leur volonté d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, il est important de rappeler le taux d'émissions de CO2 associé aux différents moyens de production d'électricité. En France, le nucléaire est la technologie ayant le plus faible impact sur le réchauffement climatique, émettant 6 g équivalent CO2 par kWh d'électricité produite, contre 15 pour l'éolien et 56 pour le solaire2. Malgré cela, beaucoup reprochent à cette technologie sa consommation d’uranium, proportionnellement faible au regard de l’énergie produite, qui ne la rendrait de facto pas durable. Cette critique pourrait être légitime si elle était également adressée aux autres sources d'énergies. Or une récente étude de l'IEA indique que les énergies renouvelables intermittentes nécessitent entre 6 et 10 fois plus de métaux que le nucléaire3. De surcroit, au rythme actuel, il faudrait au moins 200 ans pour assécher les mines d’uranium4, sans tenir compte du fait que les nouvelles centrales sont incomparablement plus économes ni que les technologies de recyclage ou même de surgénération permettent d’envisager que cet horizon s’étende à plusieurs milliers d’années au rythme de consommation actuel.

Les émissions en grammes équivalent CO2 par kWh d’électricité produite

Fig 1. Les émissions en grammes équivalent CO2 par kWh d’électricité produite1


Le nucléaire a également une empreinte au sol particulièrement faible comme le montre l’illustration suivante. Dans leur article, The Finish Greens for Science and Technology comparent l’emprise au sol de la centrale nucléaire d’Olkiluoto a celle de 8910 éoliennes nécessaires pour produire une quantité équivalente d'électricité. Il est important de noter que l’emprise au sol des éoliennes est sous-évaluée car celle-ci n’inclut aucun moyen de stockage nécessaire pour pallier leur intermittence. 
 

Eoliennes vs Olkiluoto & Onkalo

Fig 2. Comparaisson de la surface occupée entre eoliennes et industrie nucléaire. Donnees Environmental Impact Assessment of Oosinkangas et Google Maps


Moins émettrice de CO2, moins consommatrice de matériaux et ayant une bien plus faible emprise au sol que les énergies renouvelables intermittentes, le nucléaire apparaît donc comme la solution la plus écologiquement neutre qui s’offre à nous.

3. L'énergie nucléaire est-elle sûre ?

Il est indéniable que le nucléaire fait peur a une grande partie de la population. Cela fait notamment suite au grave accident de Tchernobyl survenu en 1986 et qui pourra entrainer jusqu'à 10 000 morts des suites des irradiations d'ici à 2065 selon l'UNSCEAR(United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation). L’accident de Fukushima, survenu en 2011 à la suite d’un Tsunami, est venu accentuer cette peur chez certains, même si aucun mort par irradiation n'est à déplorer dans ce cas. Si ces deux accidents sont graves et ne sauraient être minimisés, il est important de rappeler qu’aucun accident majeur n’est intervenu sur des centrales datant d'après 1980 et que le nucléaire est statistiquement plus sûr que d’autres formes de production d'électricité. La rupture du barrage de Banqiao le 8 août 1975 a entraîné la mort de 26 000 à 240 000 personnes en Chine. Cette catastrophe est venue s’ajouter aux drames de Fréjus et bien d’autres sans que personne ne vienne remettre en cause le recours à l'hydroélectricité. Pourquoi ? Parce que malgré les drames qu'ils représentent, ces chiffres sont absolument dérisoires à côté des plus de 8 millions de morts causés chaque année dans le monde par la pollution de l’air, soit 20% des décès à l'échelle planétaire, à laquelle le charbon participe activement6.

Nombre de morts par TWh d'électricité produite

Fig3. Nombre de morts par TWh d'électricité produite. Sources : Markandya & Wilkinson (2007) ; Sovacool et al. (2016)
 

Un dernier reproche fait au nucléaire civil serait de permettre la prolifération de l’arme atomique en produisant du plutonium. Il est important de rappeler ici que beaucoup de pays, y compris la France et les Etats Unis, ont acquis l’arme atomique bien avant de développer le nucléaire civil. L’Iran essaie également d'acquérir l’arme atomique sans pour autant développer de programme nucléaire civil en parallèle. A l’inverse, certains pays comme le Japon ont un programme nucléaire civil sans pour autant posséder l’arme atomique. Ces différents exemples soutiennent l'idée que nucléaire civil et militaire sont décorrélés et qu’un pays désirant obtenir l’arme atomique sera en mesure de le faire indépendamment de la présence ou non de réacteurs sur son territoire.

4. Quel est l’impact des déchets nucléaires ?

Cette question est l’une des plus importantes concernant l'énergie nucléaire. La radioactivité est un phénomène souvent méconnu et fantasmé dans la population. Nous sommes pourtant régulièrement exposés à des phénomènes radioactifs n’ayant aucun lien avec l'énergie nucléaire à proprement parler. La radioactivité naturelle ou la médecine (radiographie…) irradient chaque année bien plus d'êtres humains que ne le fait l’industrie nucléaire. Ce graphique de l’UNSCEAR illustre parfaitement ce phénomène.

Sources de radiations en millisieverts / an

Fig 4. Sources de radiations en millisieverts / an. Sources : UNSCEAR


Il n’en demeure pas moins que certains déchets nucléaires sont extrêmement radioactifs et sont traités en conséquence. Ces déchets sont cependant produits en très faible quantité. Ainsi, selon l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), le volume de déchets de haute activité à vie longue (HA-VL) produits depuis les plus de 40 ans de service du parc nucléaire français, concentrant 95% de la radioactivité, ne représentent qu’un volume de 3 880 m3 fin 20187, soit le volume d’une piscine olympique (3 750m3). Ces déchets seront d’abord vitrifiés puis placés dans des tubes en acier inoxydable avant d'être entreposés à plus de 500m de profondeur dans une couche géologique stable depuis des millions d'années.

S’il ne faut donc pas prendre ces déchets à la légère, leur volume extrêmement faible rend leur gestion nettement moins problématique que ne le laissent penser les opposants à l'énergie nucléaire.

5. Le nucléaire est-il trop cher et lent à construire ?

La France comme les Etats Unis ont démontré par le passé que cette affirmation était fausse. La France a en effet mis en service 58 réacteurs entre 1978 et 1999, réduisant à 7% la part des fossiles dans son mix électrique, faisant de la construction du parc nucléaire français un exemple de transition énergétique rapide, efficace et décarbonée. 

Cependant, les importants délais de construction des prototypes EPR de Flamanville et d’Olkiluoto, les premiers après 20 ans de suspension des activités de construction de la filière, ont laissé planer le doute sur la capacité des pays occidentaux à construire rapidement de nouveaux réacteurs. Le temps moyen de construction d’un réacteur nucléaire en Chine est pourtant aujourd’hui de 5 à 6 ans, avec des critères de sureté aussi drastiques que les nôtres mais une pratique qui ne s'est jamais intérrompue, montrant que le nouveau nucléaire n’est pas plus lent à déployer que celui des années 70-80. La principale différence entre la Chine et les pays occidentaux est que peu d’entre eux ont construit de nouveaux réacteurs depuis les années 1990. Cela a entraîné une perte de compétence, car comme toute industrie, un prototype sera toujours plus long et onéreux à déployer qu’un produit dont le design et la construction ont fait l’objet de nombreux retours d'expérience.

En 2012, la Cour des comptes publiait une étude sur les coûts de la filière nucléaire française8. Ceux-ci étaient estimés à 170 Md€ pour la construction des réacteurs et la recherche associée, auxquels s'ajouteront environ 80 Md€ de démantèlement ou traitement de déchets. Ces chiffres importants en valeur absolue sont à replacer dans leur contexte. Le nucléaire a permis à la France d’avoir une électricité parmi les plus décarbonées, les plus fiables et les moins chères d’Europe depuis plus de 40 ans. Nous avons vu dans un article précédent que malgré près de 500 Md€ investis dans les énergies renouvelables, le mix allemand était plus de 12 fois carboné que le nôtre sur l'année 2014 et le coût de l'électricité plus de 50% plus élevé.

Comme pour les temps de construction, la perte de compétence dans la construction de réacteurs nucléaires dans les pays occidentaux entraîne d’importants surcoûts. A l’inverse, les pays n’ayant pas arrêté de construire de centrale nucléaires arrivent à maintenir leurs coûts relativement bas, comme le révèle une étude de l’ETI (Energy Technologies institute)9.

Fig 5. Coûts de construction nouveau du nucléaire Europe/Amérique du Nord vs reste du Monde (source ETI)

Indépendamment de la perte de compétence de la filière nucléaire présentée ci-dessus, les centrales nucléaires n’en restent pas moins des projets industriels d’envergure et ambitieux. Pour cette raison, les taux d'intérêt demandés par des acteurs privés peuvent être particulièrement importants et avoir un réel impact sur le prix de l'électricité produite par ces centrales nucléaires. Ainsi, la SFEN estime qu’une réorganisation du financement et du portage des risques financiers des nouveaux réacteurs pourraient permettre de réduire de 50% leur coût de financement10.

Les différents rapports du GIEC ont montré que les pays occidentaux devront construire de nouveaux réacteurs afin de respecter leurs objectifs climatiques. Ce n’est qu’en se dotant d’un programme de construction nucléaire ambitieux, assumé et financé en grande partie par les Etats, à rebours des quelques prototypes de ces 20 dernières années, que ceux-ci seront à nouveau en mesure de construire des réacteurs à bas coût et dans des délais raisonnables, condition nécessaire pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

 

Sources

1. IPPC Report
2. Bilan carbone ADEME
3. Chiffres adaptés aux différents facteurs de charge dans le Rapport IEA
4. SFEN: Réserves mondiales d'uranium
5. Rapport de l'UNSCEAR de 2008 sur les Conséquences de Tchernobyl
6. Article Libération sur la pollution de l'air
7. Bilan ANDRA
8. Coût du nucléaire en France : les chiffres de la Cour des comptes
9. ETI Nuclear Cost Drivers Project – Full Technical Report
10. SFEN : Les coûts de production du nouveau nucléaire français

Ecrit par Victor Rambaud
Co-fondateur & COO

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